LE PEUPLE DES MIROIRS
CLÉMENT SAFRA
Synopsis
Au pays khmer, on raconte que des monstres vivaient jadis de l’autre côté des miroirs. Une nuit, les monstres traversèrent les miroirs et envahirent le monde.
RÉALISATION/IMAGE/MONTAGE Clément Safra
PRODUCTION Marie Plisson
SCÉNARIO Pierre Bas, Marie Plisson, Clément Safra, d’après Roger Caillois
SON Clément Safra
DURÉE PROJECTION CINÉMA 1h05
DURÉE INSTALLATION VIDÉO 50min (en continu)
FORMAT Digital Cinema / 1,77:1 / couleur / stéréo
CAMÉRA & OPTIQUE Leica M-240 + Summilux-M 50mm
PAYS DE PRODUCTION France
PAYS DE TOURNAGE Cambodge
LE PEUPLE DES MIROIRS, l’exposition
Leica Store Paris Rive Gauche
13, rue du Cherche-Midi | 75006 Paris
Curatrices : Lucile Contresty Sénéjoux, Valeria Cervantes
Voir le catalogue
Official selection LOOP Fair Barcelona
The Mirror People @LOOP Fair
Filmé au Cambodge, LE PEUPLE DES MIROIRS s’inspire d’une légende d’Asie racontant le conflit ancestral qui opposa les hommes à leurs doubles monstrueux surgis du monde des reflets.
En cherchant les traces de cette légende dans la vie quotidienne du pays, le film révèle une inquiétante étrangeté et une violence dormante, aux détour des rues, des temples et des rizières. Sur la terre où les Khmers rouges ont régné, c’est alors une autre histoire, bien réelle, qui refait surface : celle d’un peuple qui s’est un jour retourné contre lui-même.
Le mal réside-t-il en chacun ? La présence des reflets fait naître un doute : quelle image les miroirs renvoient-ils ? Celle d’un humain, ou bien celle d’un monstre, une créature capable du pire ? Telle est l’énigme que cette fable fantastique pose au travers de l’écran de cinéma, ultime miroir de l’humanité.
— Clément Safra
“Clément Safra parvient, par son art du montage et la virtuosité de ses prises de vue, à créer un rythme narratif insolite qui se nourrit du moindre événement”
Le Peuple des miroirs, reflet tendu de nos monstres enfouis
Passionné par le cinéma hollywoodien, Clément Safra a publié deux ouvrages critiques, l’un sur Steven Spielberg, l'autre sur Walt Disney. Pourtant, son travail de cinéaste semble aux antipodes de ce genre de films. Chez lui, la narration n’est pas tirée à quatre épingles, surlignée au stabilo pour que le public, accroché à des chevilles scénaristiques, reste en suspens tout le long du film. Non, bien au contraire : son travail fait la part belle au regard et l'imaginaire du spectateur, qui est appelé à s’emparer lui-même de l'œuvre pour en faire sens. Avec des moyens techniques réduits au minimum, Clément Safra parvient, par son art du montage et la virtuosité de ses prises de vue, à créer un rythme narratif insolite qui se nourrit du moindre événement, aussi anodin soit-il : les ondulations d'une rivière, le sursaut d’un chien, le roulis répétitif d’un manège, un homme qui lève la tête... tout élément du quotidien devient matière à rebondissement, écheveau d'un récit singulier où le réel peut à tout moment basculer dans le surnaturel. Œuvre vidéo radicale et volontiers contemplative, Le Peuple des miroirs n'en est pas moins un véritable spectacle, au sens où ses images souvent saisissantes s'offrent à nos yeux afin de susciter réactions et sentiments. Ce qu’il a appris des maîtres du cinéma, Clément Safra le réutilise pour le mettre au service d'un langage artistique nouveau, une fable expérimentale où se mêlent réalité et illusion, mythe et histoire. Au-delà du film lui-même, l'installation proposée illustre pleinement la démarche globale de Clément Safra de prolonger l’expérience audiovisuelle en l'enrichissant de nouveaux échos plastiques et physiques ; un cinéma enchanté, ainsi qu'il aime à le nommer. Dans Le Peuple des miroirs, la vidéo est projetée simultanément par deux projecteurs, l’un dirigé vers un écran, l’autre vers un mobile de miroirs brisés qui démultiplie l'image en myriades (plusieurs photographies de cette installation sont reproduites en pages 5 et 6 du présent document). L'envahissement de l'espace par les reflets invite alors le spectateur à regarder tout autour de lui et être vigilant à la moindre déformation de l'image, signe d'un dérèglement du monde ; un dispositif qui permet tout autant d'amplifier l’expérience vidéo que de renforcer le propos même de l'œuvre dans une vertigineuse mise en abîme.
— Sébastien Thévenet
Directeur, Galerie Kokanas
— Revue de presse —
“Un séduisant miroir magique, au croisement de la poésie, de l’expérimental et du fantastique. ”
On a pu découvrir le Français Clément Safra avec le prometteur Filmus qui fut sélectionné au Festival de Locarno en 2017. Son nouveau film, Le Peuple des miroirs, poursuit un même geste poétique. Déjà dans Filmus, on se concentrait sur les sensations nées de l’image et du son. L’épure rencontrait le fantastique et Le Peuple des miroirs s’aventure encore plus loin dans cette voie. Le film prend au pied de la lettre (et illustre) cette croyance : « au pays khmer, on raconte que des monstres vivaient jadis de l’autre côté des miroirs. Une nuit, les monstres traversèrent les miroirs et envahirent le monde ».
Ainsi, le premier plan du long métrage se dessine très lentement, comme une apparition spectrale et indistincte. On observe attentivement les lacs dans la nature, les flaques dans la rue, l’eau dans les rizières – tous ces miroirs d’eau qui, sous l’oeil de Safra, prennent une dimension magique. Le fantastique est une question de regard : ici, un manège se transforme en manifestation du merveilleux, là, un simple miroir d’une salle de sports semble être une porte vers un monde fantastique.
La caméra de Safra s’aventure dans la pénombre des rues et dans la vie quotidienne qui les agite. Les images défilent, la musique est enveloppante, et peu à peu on décolle de l’ultra-réel. Safra utilise des jeux de reflets dans le cadre, l’image se dédouble, apparaît en négatif et le film cherche le vertige. Lors de plans répétés, de superbes lumières se reflètent sur l’eau : viennent-elles de la ville ou d’un monde en dessous ? L’approche poétique et expérimentale est séduisante, mais ce traitement n’est pas qu’une coquetterie – car regarder ainsi le réel, et le ré-enchanter, est aussi un choix politique.
Nicolas Bardot, Le Polyester
“Ce sont les images qui font un film. Cette évidence n’a jamais été aussi claire que dans LE PEUPLE DES MIROIRS. Une force donc, percutante. Une prégnance, indépassable.”
Le peuple cambodgien, un peuple meurtri à jamais par le génocide qui l’a décimé. Peut-on le filmer sans que sa présence – plus que son souvenir – ne s’inscrive, d’une façon ou d’une autre dans les images ? Même pour un jeune cinéaste français appartenant à une génération qui n’a pas connu le génocide dans son actualité. Clément Safra n’est pas allé au Cambodge pour filmer les traces, ou la mémoire, du génocide. Mais il l’a rencontré. Et ce n’est pas un simple clin d’œil, ou une concession à une quelconque bonne – ou mauvaise – conscience, si son film se termine par deux images du génocide, deux images faites pour ne pas oublier. Deux images faites pour invalider à l’avance toute tentative de négationnisme. Deux images qui inscrivent toutes celles qui ont précédé, le film dans sa totalité, dans une dimension historique. Les légendes aussi ne peuvent échapper à l’Histoire.
Clément Safra est allé au Cambodge pour filmer une légende. La légende des miroirs. Elle est présentée simplement par un texte qui s’inscrit sur l’écran. Ce sont les seules « paroles » du film. Car le cinéaste a choisi d’exclure la parole de son film. De ne pas parler et de ne pas faire parler les cambodgiens qu’il rencontre. Sans pour autant faire un film muet. La musique – surtout dans des scènes de danse – et les bruitages, sans oublier le chant des oiseaux, sont bien présents et donnent toujours une grande consistance aux images. Mais ce sont les images qui font un film. Cette évidence n’a jamais été aussi claire que dans le film de Safra. Une force donc, percutante. Une prégnance, indépassable.
Les miroirs ? Peut-on les traverser ? Qu’est-ce qu’il y a de l’autre côté ? Les références affluent. Cette chanson enfantine par exemple : « le petit singe dans la glace ». Et Lacan, entre autres. Au Cambodge, ils ont partie liée avec des monstres.
Si le miroir est un stade important dans la construction du moi, ce n’est pas une individualité que filme Safra, ou alors c’est l’individualité d’un peuple. Le film cherche-t-il à appréhender l’âme du peuple cambodgien ? On peut alors se demander de quel côté du miroir se situe les images du film. Le « réel » ou son reflet ? Les images ne sont-elles que des illusions, évanescentes ? Disparaissent-elles dès qu’on ne regarde plus le miroir. Le recours aux manipulations numériques que propose le film peut nous laisser penser que plus rien n’est réel. Ou que le réel ne peut pas ne pas être suspect, ou sujet à suspicion, ou du moins être questionné sur son épaisseur, sa consistance. Et si des monstres peuvent sortir des miroirs c’est parce qu’ils peuplent notre imaginaire, c’est parce qu’ils sont profondément ancrés en nous.
Nous savons cependant parfaitement les laisser derrière le miroir, ou les y refouler. Le film de Clément Safra n’est pas un film fantastique. Il se situe plutôt du côté du merveilleux. Il ne nous interdit pas de nous abandonner au plaisir des images. Bien au contraire.
Jean Pierre Carrier, Le cinéma documentaire de A à Z
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